Christo Milkov

LE DUEL POUR LE COEUR DU FRANÇAIS

Résumé

Malgré la littérature abondante, consacrée à la période 1940 — 1942, beaucoup de points sur la défaite de 1940, sur Vichy, Pétain et De Gaulle ne sont toujours pas éclaircis.

La comparaison entre la mythologie sur Pétain et celle concernant De Gaulle représente un thème peu développé.

La contribution française à l'histoire des mythologies européennes est unique par le fait d'avoir fait apparaître deux héros dans le même temps, dans les mêmes conditions historiques et devant le même public.

La préface de la présente recherche jette le jour sur le choix du sujet, de la période et le sens de l'emploi des termes tels que mythe, mythologie, et héros mythologique.

Le premier chapitre couvre la période jusqu'au «jour de naissance» des deux mythologies, période qui pourrait être définie comme préparatoire à leur création. Durant cette période s'accumulent les couches formant leurs bases, et apparaissent les facteurs ayant contribué à leur apparition.

La couche biographique comprend, plutôt que des faits biographi­ques, la participation de deux futurs héros à des événements décisifs pour le destin historique de la nation. Le mythe Pétain n'aurait jamais existé s'il n'avait pas été le «vainqueur de Verdun». La carrière «héroïque» de De Gaulle commence également à Verdun. La période entre les deux guerres est une période de préparation intense pour les deux nouveaux héros. A cette époque le Maréchal devient le personnage le plus important dans la hiérarchie militaire. L'un aussi bien que l'autre font partie de gouvernements composés dans des moments cruciaux de l'histoire française contemporaine.

La couche idéologique comprend les idées politiques et celles sur la stratégie militaire de Pétain, de De Gaulle et des sources où ils les ont puisées.

Avec la transformation du Maréchal en l'autorité la plus importante dans l'armée française rien que son nom commence à évoquer la victoire. Ses idées sont considérées comme justes parce que c'est lui qui les défend. Grâce à cela, non seulement elles s'imposent dans la doctrine militaire mais aussi se maintiennent face aux nouveautés dans la pensée militaire. C'est précisément pour l'instauration de ces dernières que lutte De Gaulle.

II propose qu'une armée de choc manoeuvrable soit créée, en se motivant avec l'état de l'armée française et celui de l'armée allemande.

La pensée politique du Maréchal est fondée sur le traditionalisme, le conservatisme, les idées antidémocratiques, la haine pour les com­munistes et les socialistes et l'antisémitisme. Les idées de son adversaire sont beaucoup plus définies. Elles évoluent vite de manière à ce qu'il ne soit jamais en retard par rapport à son temps.

Un trait caractéristique commun aux deux, c'est l'acquisition d'une présomption de Messie, à laquelle correspond aussi une conduite spé­cifique. Cette opinion de soi même est fondée sur des qualités réelles. Pétain se distingue par sa patience, son amour du travail et sa précision, mais aussi par son caractère indépendant. Il a la réputation d'un officier intelligent, énergique et exigent. Ses qualités de dirigeant se manifestent après la guerre. Parmi ces qualités il y a son talent de choisir une équipe capable de réaliser ses idées et de créer une plate-forme susceptible de répondre aux besoins à une grande majorité. Il se distingue aussi par sa capacité d'attendre le moment propice à son accueil par la société non pas en tant que leader politique provisoire mais en tant que chef.

D'après ses contemporains De Gaulle possède une force de volonté indomptable, un sens approfondi de la réalité, une intuition pour l'histoire et un don de prévoir. Sur le champ de bataille il témoigne de sang-froid et de mépris du danger, d'une énergie inépuisable. Le futur Messie est un chef qui possède une volonté de fer et un grand impact sur ses subordonnés, aussi bien qu'une clarté de persuasion et une «clairvoyance opérationnelle». L'humanité est un des traits déterminants de son caractère. Les qualités évoquées plus haut sont organisées autour de l'autoritarisme, l'égocentrisme, l'opinion avantageuse de soi-même et le sentiment de supériorité.

Le deuxième chapitre est divisé en trois parties qui correspondent aux mythes communs aux deux mythologies, celui du Sauveur, celui de l'Unificateur et celui de «La France, c'est moi». La première partie traite les conditions ayant permis aux deux «candidats» d'accomplir la mission salutaire — la crise des fondements de la société; la «drôle de guerre» devenue une véritable épreuve de la morale des Français et la «vraie» guerre ayant provoqué l'échec de la doctrine militaire et des autorités aussi bien que la déception de l'allié et aboutissant à la défaite la plus grave dans l'histoire française.

L'analyse des raisons de la défaite est un élément essentiel du pétainisme. Le diagnostique que donne le Maréchal à l'échec de la France est l’anarchie, le blasement et l'insécurité, le manque de morale et énergie pour atteindre la victoire; «l'impuissance démocratique» et une fausse liberté pour la Troisième république, «souffrant» d'individualisme, d' irresponsabilité, d'incompétence et de désunion. La variante proposée par Pétain c'est sauver le pays par l’armistice, de la défaite militaire et de créer des conditions pour la constuction d’une nouvelle sociéte. Pendant les premiers mois de Vichy le mythe se confond avec la réalite. Il est légalement institué le 10 juillet 1940 quand le maréchal est élu Chef d’État français par une majorité écrasante dans l’Assemblée Nationale. Le mythe de Sauveur trouve appui dans les mesures promptes du /ornement pour la suppression des conséquences de la défaite.

L'autre prétendant — Sauveur considère la poursuite de la guerre comme possibilité unique pour le salut de la nation. Le 18 juin 1940, son jour J à lui, il s'adresse aux Français sur la BBC et lance un appel de ne poser les armes. Le mythe du Sauveur De Gaulle représente une strutcture composée des mythes «Lutte jusqu'au bout», «Le héros solitaire incame l'honneur de la France» et «le 18 juin». Si la lutte jusqu'au bout en juin 1940 est un mythe et toutes ses variantes sont rejetées par la réalité, avec le renforcement du mouvement de la Résistance, et surtout s que celui-ci passe sous la direction de De Gaulle, après la création Forces françaises libres et avec l'adhésion d'alliés puissants cette lutte devient possible.

Le mythe «du Héros solitaire» d'après certains auteurs représente une tentative de Gaulle de dissimuler sa fuite de la France. Arrivé seul à Londre le Général reste pendant assez longtemps sans l'appui d'hommes politiques ou militaires influents. Ceci lui donne la possibilité de se conduire comme quelqu'un marqué du destin, comme «l'homme providentiel». Le mythe «18 juin» est créé pour distinguer la période preparatoire de la vraie période héroïque. A cette date De Gaulle devient héros légitime et cherche pour cela le signe du destin.

Dans la mythologie du Général il y a un héros et un antihéros – le maréchal qui est dans le centre de sa «Contre-mythologie». Elle est composée des mythes de l'armistice, de Montoire (lieu de la rencontre entre Pétain et Hitler) et de la trahison de Vichy. Cela constitue sa charge négative.

La partie suivante examine le mythe de l’Unificateur. Déchirée par la guerre et par l'armistice, divisée en «siens» et des « traitres » la nation française cherche la solution des problèmes du présent et un appui pour le futur. Les deux propagandes lui propose la même formule: unification. Les Sauveurs devient Unificateurs. Ils declarent les raisons idéologiques de leur manifestation de héros : pour Petain, c’est de la «Révolution Nationale», et pour De Gaulle—les premières notions essentielles du gaullisme. A Vichy ce mythe est soutenu par la plupart des militaires, se trouvant non seulement au pinacle du nouveau régime mais sur plusieurs niveaux de l'administration, la Légion des combatants — une organisation des vétérans, dont la plupart devenus maires, curés, notaires etc., l'église catholique. La jeunesse est regroupée dans un système bien structuré d' organisations qui constituent un mécanisme pour la création du mythe de l'Unificateur. L'une des images du Maréchal est celle du protecteur: des détenus, des prisonniers, de ceux qui sont poursuivis par les Allemands. Il se donne l'image du constructeur qui déblaie les ruines de la Troisième république pour reconstruire l'État français.

De Gaulle trouve son soutien principal dans le mouvement de la France libre. Sa fondation et sa reconnaissance par la Grande Bretagne, l'édification de ses structures ainsi que la pénétration dans les colonies permettent l'apparition et la survie de ce mythe. Le Général et son mouvement se distinguent par la conscience d'être le seul représentant légal de tous les Français. De Gaulle se fait passer pour l'incarnation du destin du mouvement auprès de ses collaborateurs; il incarne l'espoir pour la majorité des Français et représente l'image de la France rebelle pour les alliés. En outre, il n'est pas simplement Unificateur, c'est un Unificateur juste, absolument égal à ses alliés.

La dernière partie du chapitre est consacrée au mythe «la France, c'est moi». S'étant proclamé Sauveurs et Unificateurs, les deux dirigeants proclament également être l'incarnation de la Patrie.

L'établissement du mythe de soi-même, l'insinuation de l'idée du dévouement complet à la Patrie, l'imposition du principe de chef en tant que le seul possible pour l'établissement et le fonctionnement des structures sociales et étatiques, le lien réciproque «dirigeant-peuple», qui ne manque pas de spontanéité, sont les lignes principales dans la création du mythe «La France, c'est moi». Le chapitre examine en détail le rôle du facteur extérieur, l'attitude de Pétain pour De Gaulle et l'effet du vieillissement sur la mythologie. Un nombre d'actions entreprises par Pétain en vue de la préparation à une future guerre avec l'Allemagne font de lui, aux yeux des Français, Le Chef de la Résistance, et leur font croire à une double jeu: sa ligne officielle est celle de la coopération avec le Troisième Reich alors que sa politique réelle est du coté de la Résistance.

Le serment de fidélité, indispensable à tous, constitue la base du mythe de la Légitimité dans la mythologie de Pétain.

Les graves difficultés économiques, la faillite politique de l'idéologie de la Révolution Nationale et l'imposition de De Gaulle en tant que le personnage capable de sortir le pays de la catastrophe complète la mythologie du Maréchal.

Ayant proclamé que sa mission est de sauver la France, le général, pour pouvoir prétendre qu'il est son incarnation, doit, avant tout devenir le dirigeant de sa résistance. Ainsi se crée la figure De Gaulle égale «La France combattante», égale «la France», le mythe du Chef de la Résistance. Le mythe de la légitimité en est une partie composante. Pour y arriver le Général tente de nier la légitimité de Vichy et de rejeter la Troisième république en tant que forme ultérieure de gouvernement; par la participation active des Forces françaises libres dans les actions des alliés il tente de ne pas donner accès à un autre représentant français dans les relations internationales. Les puissants médias britanniques jouent aussi un rôle important dans l'établissement de ce mythe. Le facteur international est particulièrement important dans la création du mythe «La France, c'est moi» sous De Gaulle. Il contribue dans une large mesure au développement de la mythologie gaulliste.

Pendant la période de 1940 — 1942 la nation française oscille entre « des bouées de sauvetage » différentes, entre des slogans différents, entre des mirages différents. Elle devra parcourir un long chemin avant que les mots «liberté», «indépendance», «unité» et «unification» cessent à sonner creux, tels qu'une boite de conserve vide et acquièrent la force et la puissance de résonnance d'un clocher de cathédrale. Et cette nouvelle page de l'histoire portera non pas le nom de Philippe Pétain mais celui de Charles de Gaulle.